mercredi 10 juin 2009

Le Pouvoir de guérison d'un peuple ( Grand Dérangement - Déportation des Acadiens)

Le pouvoir de guérison d'un peuple par Carolji Corbeil et Eric Forgues, magazine Wellness Networker, janvier 2006, Nouveau-Brunswick.

Individuelle ou collective, la guérison fait appel à un profond respect des expériences vécues et des convictions de ceux et celles qui sont concernés. Dans cet esprit de respect et de reconnaissance, nous souhaitons partager avec vous cette réflexion sur le pouvoir de guérison d’un peuple.

Le 28 juillet dernier, le journal l’Acadie Nouvelle publiait un éditorial portant sur la journée de commémoration du Grand Dérangement dont voici un extrait : "…, l'Acadie a demandé à la Couronne d'exprimer le regret d'avoir infligé à notre peuple de graves préjudices. Comme réponses, elle a obtenu une reconnaissance officielle "des faits historiques. Le regret, c'était trop demander. Impossible, donc de tourner la page. Le 28 juillet de chaque année ne commémorera jamais la guérison d'une blessure. Il rappellera la blessure elle-même, tant que la Couronne n'en viendra pas à de meilleurs sentiments."[1]

Cet extrait nous amène à nous interroger sur le processus de guérison lorsque la blessure est collective et qu’elle afflige tout un peuple. Cette prise de conscience d’un traumatisme collectif favorise un éveil pouvant conduire au rétablissement d’une relation solide et durable qui nous place sur un pied d’égalité avec ceux qui nous ont fait du tort. Parfois, des émotions fortes émergent de cette prise de conscience et alimentent un désir de nommer les coupables, de vivre dans le jugement et d’exiger des excuses. Nous exprimons et dévoilons ainsi notre détresse en projetant hors de nous un mal qui nous habite. Il peut alors être tentant de fuir notre responsabilité à son égard.

L’importance que revêt le Grand dérangement dans l’imaginaire collectif du peuple acadien témoigne d’une blessure ancrée à des profondeurs insoupçonnées au cœur de son identité faisant ombrage à ses efforts de guérison. Comment un peuple peut-il guérir des traumatismes de son passé? Où se situe la guérison entre ceux qui cultivent cette mémoire au point d’en faire l’acte fondateur de l’Acadie et ceux qui affirment qu’il faut vivre dans le présent et cesser d’évoquer ce souvenir ? Au fait, y a-t-il une volonté de guérison?

L’évocation régulière dans les journaux et les événements du Grand dérangement nous a rappelé le livre audio de Caroline Myss Why people don’t heal [2]. Dans cette conférence, Caroline Myss se demande pourquoi certaines personnes ne guérissent pas. Il arrive que la blessure donne sens à la vie de certaines personnes qui se définissent à partir d’elle en développant un langage autour de celle-ci.

Ces personnes passent d’une thérapie à une autre, mais elles ne guérissent pas. Elles prennent la barque de la guérison, mais au lieu de se rendre sur l’autre rive, elles restent au milieu de la rivière et tournent en rond. Elles développent des liens avec d’autres personnes autour de leurs blessures. Elles se créent un réseau d’amis et de connaissances par et autour de cette blessure qui donne un sens à leur existence et contribue à définir leur identité. Elles entretiennent ce que Caroline Myss appelle en anglais la woundology [3], c’est-à-dire l’établissement des relations à travers les blessures. Dit sans détour, la woundology permet l’utilisation des blessures pour se définir, marquer sa différence, déterminer avec qui et à quelle condition nous créons des liens et même parfois manipuler l’autre en jouant sur sa culpabilité.

Par extension, nous pouvons appliquer ce raisonnement à un peuple. Que fait le peuple acadien avec sa blessure? Souhaite-t-il guérir ou préfère-t-il entretenir sa blessure collective pour servir des fins identitaires, politiques, voire économiques? Sachant que la guérison d’un peuple passe par des actions et des événements collectifs dont la portée symbolique est réparatrice, quel rôle pourraient jouer les élites pour favoriser un mouvement de guérison et de réparation à l’échelle collective? Quelles actions peuvent faciliter la guérison, si tant est qu’une volonté collective aille en ce sens?

Nous pourrions croire que la guérison passe préalablement par une demande d’excuse, qui pourrait s’accompagner de compensations économiques pour réparer les torts causés au peuple acadien. La persistante revendication d’excuses ne fait qu'entretenir la blessure et risque de nous cantonner dans un rôle de victime. Nous croyons que la guérison s’amorce bien avant que l’autre présente ses excuses. Le pouvoir réel de guérison du peuple acadien se manifeste dans le pardon. La présentation d’excuses n’aura d’effet que si elle complète le mouvement de guérison déjà amorcé par le pardon, présageant la réconciliation. Le pardon permet d’intégrer le traumatisme, sans l’oublier, en traversant et dépassant sa douleur. La place et l’importance historiques de l’événement traumatisant seront alors relativisées et le peuple acadien pourra renouer avec des événements fondateurs plus positifs de son histoire.

Le peuple acadien peut s’inspirer de l’expérience des autochtones qui ont aussi connu des événements traumatisants et qui ont développé une réflexion et des initiatives pour entamer un processus de guérison en tant que peuple. La Fondation Autochtone de Guérison [4], dont la mission est d'appuyer les peuples autochtones et de les encourager à concevoir, développer et renforcer des démarches de guérison communautaires, a récemment créé une journée nationale de la guérison et de la réconciliation qui a lieu le 26 mai de chaque année. Plusieurs autres initiatives ont lieu dans les communautés autochtones afin de redécouvrir leur héritage spirituel et se donner des repères positifs pour définir leur identité.

Les traditions de guérison holistique des autochtones reconnaissent l’importance de la collectivité dans le processus de guérison en mettant l’accent sur les liens qui relient les membres de la communauté. Les guérisseurs autochtones enseignent que le mouvement de guérison passe par le rétablissement du lien avec l’autre et la collectivité. En formant des cercles de guérison [5], les participants peuvent s’adresser à leur communauté pour trouver ou offrir leur soutien.

Le programme de justice réparatrice mis sur pieds dans la communauté Elsipogtog au Nouveau-Brunswick, par exemple, s’inspire du modèle de justice traditionnelle qui vise à restaurer l’harmonie et le mieux-être de l’ensemble de la communauté[6]. Celui qui a causé un tort doit reconnaître sa responsabilité devant la collectivité. La reconnaissance de son geste fait parti du cercle de guérison. En ayant rompu l’équilibre et l’harmonie au sein de la communauté, il doit participer volontairement à leur rétablissement. Il doit également guérir et sa guérison est directement liée à celle des membres de la communauté. Dans cette perspective, la justice n’est pas séparée de la guérison qui touche à la dimension individuelle et collective, mais aussi mentale, émotionnelle et spirituelle. Lorsque la justice est restaurée, c’est l’équilibre global et le mieux-être qui sont restaurés.

Une blessure collective masque une réalité complexe. En tant que membre d’un peuple, nous transportons, à différents degrés, les blessures de notre histoire qui se transmettent à travers nos liens sociaux, en renouvelant la mémoire du traumatisme de génération en génération. Parce que nous cultivons cette blessure émotionnelle, l’imaginaire d’un peuple demeure captif de la souffrance du passé. Ce qui peut l'empêcher de profiter pleinement des opportunités pour se développer.

En l’absence d’un processus de guérison collective, l'identité d’un peuple tend à se construire à partir d'une blessure rendue vivante et actuelle par le devoir de mémoire. Il peut arriver que nous ne ressentions pas le besoin de guérir, puisque nous entretenons nos relations avec les autres à travers la similitude de cette blessure qui représente une caractéristique distinctive de notre identité collective. Dès lors, l'empreinte de la mémoire collective s'enfouie en nous et se voile derrière une densité émotionnelle entretenue par la peur du changement, la peur de l’autre et parfois même la peur de guérir.

La guérison se vit au présent et s'amorce par une volonté de détachement à l'égard d'une blessure qui nous maintient dans la mémoire du passé. La guérison passe par la manifestation claire et sans équivoque de notre intention de guérir. Intégrer l'expérience d'une blessure émotionnelle suppose de la reconnaître et de l’intégrer sans créer de pôle de résistance et de conflit. Se libérer de la mémoire d'une blessure émotionnelle collective dégage une énergie nouvelle qui nous permet de mieux participer à la création libre et spontanée du destin d’un peuple.
Par des gestes collectifs dont la portée symbolique rejoint l’ensemble de la communauté, nous pouvons amorcer un processus de guérison qui nous libèrera des blessures collectives. Nous pouvons rétablir l’équilibre rompu entre les membres de la communauté et permettre l’émergence de notre véritable nature créative, où nous pourrons développer notre plein potentiel de relation d’équanimité avec les autres.

Les auteurs Carolji Corbeil et Eric Forgues
sont Maîtres-enseignants Reiki et Praticiens en Healing Touch.
Moncton, Nouveau-Brunswick, Canada
Références:

1 Éditorial de M. Maurice Rainville, L’Acadie Nouvelle, 28 juillet 2005
2 Livre audio « Why people don’t heal », Caroline Myss, http://www.myss.com/
3 Fondation Autochtone de Guérison, http://www.ahf.ca/
4 La Journée Nationale de la Guérison et de la Réconciliation (NDHR) http://www.ndhr.ca/
5 Cercles de guérison http://www.upei.ca/si/si2004/html/Circle%20of%20Health.pdf
6 Elsipogtog programme de justice réparatrice www.upei.ca/SI/Tammy_Augustine-St.JohnPresentation.pdf

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